par Frédéric Della Giusta
L’endroit est connu pour ses morilles. Il est même très couru en avril pour ça, largement autant que la Forêt de Marly pour les cèpes. Un terrain calcaire, des arbres nécessaires à une association mycorhizienne comme le frêne, tous les ingrédients nécessaires à l’alchimie complexe qui donne naissance au roi des champignons sont ici réunis. Terre bénie des Dieux donc, un morceau du jardin d’Eden.
A l’automne, c’est à l’évidence une toute autre paire de manches...
Et pourtant, l’espoir était grand chez la grosse vingtaine de participants qui avaient courageusement résolu de défier les éléments déchainés, ou, plus prosaïquement, de braver la pluie menaçante. Armés de paniers à grand fond, les mycophages - nom scientifique du mangeur de champignon - se montraient pétris d’optimisme et de courage pour une cueillette qu’ils souhaitaient exceptionnelle, comme la semaine passée au Domaine de la Claye en forêt de Rambouillet où les trompettes de la mort et autres comestibles de premier choix se récoltaient à la faux plutôt qu’au couteau à champignons, tant il y en avait. On allait voir ce qu’on allait voir ! Hardi petit !
Et bien on a vu.
Ou plutôt, on n’a rien vu... Rien de comestible, en dehors du compagnon à quatre pattes qui nous escortait. Et quand je dis comestible, j’exagère un poil (de chien) car c’est qu’il s’y entend le bougre pour attirer à lui la sympathie des humains. Affectueux et joueur, il s’est montré bien plus intéressé par les morceaux de bois à rapporter aux participants complices, que par les champignons. Bref, on n’aurait pas eu le courage de le manger, même s’il avait perdu à la courte paille. Donc pour résumer, côté casserole : nada. Le vide sidéral. Sidérant...
Les mycophiles - amoureux des champignons et pas que pour leur qualité gustative, et mycologues - spécialistes de l’étude du champignon, ont été, eux, à la fête. Ou disons plutôt, "raisonnablement" à la fête. De l’ampleur d’une fête patronale d’un village de province, et clairement pas Noël. C’est que la quantité d’espèces rencontrées n’était pas exceptionnelle, on pourrait même dire médiocre. La semaine dernière, on avait recensé 116 espèces dans la matinée. Cette fois ci, malgré un rab de trente minutes, on a péniblement atteint 67 espèces (voir la liste des espèces observées). Donc pour la quantité, on repassera.
En revanche, pour ce qui concerne la qualité, là, respect, chapeau bas et génuflexion. On a en effet croisé la route de 6 ou 7 champignons dignes d’intérêt, à commencer par la galère marginée, Galerina marginata, aussi belle que mortelle.
Arrêtons nous d’ailleurs quelques instants sur ce petit champignon automnal, poussant sur bois mort, avec un anneau sur le pied, des lames brunes très serrées, un chapeau brun strié dont le bord semble trop grand pour les lames et qui déborde, et une forte odeur de farine. Très répandu, il faut apprendre à l’identifier pour le fuir comme la peste qui en comparaison, offre une mort douce et agréable bien que déjà atroce. Ce champignon partage avec l’amanite phalloïde de triste réputation les mêmes poisons, à savoir l’amanitine et autres amatoxines. Les symptômes se déclarent entre 8 à 24 heures (voire 48 heures) après l’ingestion et commencent par une gastro-entérite violente. S’ensuit une période de rémission trompeuse aux environs de la quarantième heure, où l’on se croit à tord tiré d’affaire, lors même que le poison poursuit silencieusement son œuvre destructrice. C’est le foie qui y passe en premier, suivi quelques fois et de près par les reins. Sans hospitalisation, c’est le coma puis la mort. Ceci dit, l’hospitalisation n’est pas synonyme de salut, car il n’existe pas d’antidote à ces poisons. On ne pourra guère que traiter les symptômes et aider les organes attaqués avec différents produits qui n’empêchent cependant pas des dégradations irréversibles. Une greffe du foie pourra s’avérer nécessaire... Pour plus de détails croustillants, notamment sur les souffrances indicibles encourues par les personnes ayant ingéré des champignons contenant ces toxines, on pourra se référer à l’ouvrage de Michel Botineau, sobrement intitulé "L’amanite phalloïde" (Eveil Editeur), ou encore "Les champignons toxiques et hallucinogènes" de Roger Heim (Editions N Boubée & Cie).
Comme pour ajouter un peu de piquant à l’affaire, Dame Nature a jugé bon de donner un aspect tout à fait semblable à un champignon comestible et très couru, la pholiote changeante, Kuehneromyces mutabilis. Seul un oeil et une nez exercés peuvent faire la différence avec la galère marginée. Un tableau comparatif est d’ailleurs donné dans ce bel article du très recommandable site ChampYves.
Ajoutons pour finir que la Galère marginée n’est reconnue mortelle que depuis la fin des années 1960... La mycologie est une science relativement jeune, on peut y faire encore moult découvertes (certaines fortuites et douloureuses...) !
On comprend donc immédiatement l’intérêt de venir aux sorties de l’ANY pour éviter de croiser la fourchette avec ce bien triste et redoutable champignon. France Info, qui a eu le nez creux, nous avait d’ailleurs envoyé pour la circonstance un sympathique reporter de terrain, futur reporter de guerre, Valentin Dunate, en mission d’entrainement en milieu hostile mais aussi pour porter témoignage des terribles dangers de la forêt. Voici son reportage, édifiant !
Parmi les autres champignons intéressants de cette matinée, notons :
De belles pièces à notre tableau de cueillette qui font oublier le manque cruel de champignons comestibles, le temps humide, et la relative faible quantité d’espèces différentes rencontrées. Et si on ajoute l’habituelle bonne humeur, on ne peut qu’attendre avec impatience et se réjouir que la prochaine sortie arrive dès la semaine suivante !