par Frédéric Della Giusta
Faut-il aimer les champignons pour partir en cueillette alors qu’il gèle à pierre fendre ? Sans aucun doute. Ou bien être un peu fêlé... Le premier ne va pas sans le second d’ailleurs : le mycologue est un être particulier, à part, différent. Si si si, on l’entend dire ici ou là, surtout lors des sorties bota (je plaisante bien entendu, je n’ai rien contre les botanistes, moi) ! Mais je préfère retenir, de ce qui peut passer pour une tare, la citation suivante : « heureux les fêlés car ils laisseront passer la lumière » (Michel Audiard). Givrés donc, et à tous les sens du terme, car oui, il gelait réellement en ce dimanche 11 Décembre, et à pierre fendre qui plus est. Jugez plutôt : moins 4 degrés, une fine pellicule de glace à la surface de l’Etang Rompu, les doigts le nez et les arpions paralysés par le froid quasi instantanément à la descente des voitures...
Mais quoi ? On n’est pas en sucre, et quel que soit le temps, quelle que soit la saison, on sait que la nature n’est jamais avare en merveilles. Alors on prend son courage à deux mains, on se compte : un, deux, trois, quat’..., trois - oui, trois. Petit groupe aujourd’hui, groupuscule peut-on dire, de passionnés, de fadas, quoi. Et on démarre, on s’enfonce, hardi petit, dans la forêt ou plus aucune feuille ne pendouille des branches. On a beau savoir qu’on peut tomber sur une merveille, on y va quand même sans trop y croire, en se disant que ça ne tombe pas aussi souvent que la foudre sur la tête, ce qui est déjà bien rare. Mais voilà, on n’attend rien et hop ! on se laisse surprendre et cueillir comme un bleu en finale de coupe du monde au Qatar... Car oui, à peine arrivés au hêtre pluricentenaire à trois futs qui garde l’entrée du bois, on remarque en contrebas, sur des branchettes couchées au sol dépassant à peine des feuilles mortes, des concrétions de glaces époustouflantes qui font penser à des cheveux d’ange (et je ne parle pas ici des pâtisseries orientales mais de ce phénomène étrange décrit ici). Diantre, on serait tenté de rentrer après avoir vu ça, tellement c’est beau, rare, surprenant, tellement il fait froid...
On trouve aussi, au pied de ce hêtre, un magnifique bouquet de Mycènes roses qui, chose curieuse, semblent pétrifiées. On les dégage des feuilles, on les observe tout d’abord, on s’en approche ensuite d’une main tremblante, on pose un doigt dessus, on toque comme à une porte et on doit bien se rendre à l’évidence : les champignons sont durs comme de la pierre, gelés jusqu’en leur tréfond. Quand je dis qu’il faisait froid, en voila bien une preuve supplémentaire !
Après ces heureuses rencontres, on remonte sur le chemin qu’on emprunte d’un pas vif en direction de la pinède. On ne prendra même pas la peine de s’arrêter explorer la plantation de chêne, il n’y a rien ou presque : de vieux Tricholoma sulphureum, dont l’odeur forte et nauséabonde nous aurait dégagé les sinus si ces derniers eussent été pris par un rhume de saison. Dans la pinède en revanche, on trouve plusieurs espèces et certaines fort intéressantes ou agréables à l’oeil :
On pousse ensuite vers la pessière, plantation d’épicéas plutôt rare dans les Yvelines. Ce biotope exceptionnel aux airs de mon Jura natal nous réserve lui aussi quelques belles surprises :
Voila. Au final, nous aurons croisés plus de 70 espèces différentes (liste des espèces récoltées), toutes partiellement ou totalement gelées, mais qui auront tout de même ravi et réchauffé les coeurs. Il faut se rendre à l’évidence : on a essayé de prolonger la saison mycologique jusqu’au bout du bout, mais cette fois, c’est bien la fin... Rendez-vous en Avril pour le retour des champignons printaniers et d’ici là, passez tous un Joyeux Noël et que l’année 2023 nous soit mycologiquement profitable !