Par Étienne Varney
Louis XIV ne conviait que quelques proches dans ce lieu d’exception. Même des membres de la famille royale n’y avait pas un accès automatique. Et la supplique « Sire, Marly ? » ne faisait que peu d’élus. (Mémoires de Saint-Simon)
Frédéric a simplifié un peu le protocole ; quelques privilégiés viendront pour cette promenade dominicale. Les bristols d’invitation sont quand même vérifiés scrupuleusement à l’entrée du Domaine ; c’est en effet son anniversaire ; il arrive majestueux sous les hourras de la foule. La fête peut commencer. Pas de bal, pas de champagne ; juste un café chaud avec des chouquettes et un peu de fromage truffé ! Puis une promenade sur les pelouses du parc qui peuvent recéler de magnifiques trésors.
La Vénus callipyge et la Diane chasseresse ont revêtu leur habit d’hiver. Nous attendrons le printemps pour admirer leurs formes gracieuses et dénudées. Pour ne pas risquer d’être frappé par des foudres féministes, j’ajouterai qu’il doit y avoir aussi quelques Apollons. Les belles statues ne se découvrent pas mais arpentons donc les pelouses.
Mais que sont ces Hygrophores tellement attendus ? « Un truc très joli ; Frédéric et moi en sommes tombés amoureux ». Pour une définition plus précise et plus scientifique, on se reportera au magnifique article sur le sujet du discret Frédéric.
Le héros du jour avait aussi présenté lors d’une sortie récente, un ouvrage dédié aux splendides Hygrocybes* ; les prairies alors n’avaient montré qu’une seule espèce. Et rendez-vous était pris dans des lieux plus propices.
On sent l’anxiété chez les participants, l’excitation chez d’autres. Le silence est de mise. Presque religieux. Qui aura la primeur ? La saison mycologique n’a pas été formidable après ces périodes de sécheresse. Les verra-t-on ? Soudain un cri strident dans la bruine matinale ! « Un truc rouge. »
Et c’est le début d’un festival de couleurs et de formes que beaucoup ne soupçonnaient point :
– Un rouge, très visqueux, Hygrocybe mucronella ; une franche amertume quand on met la langue en contact de la cuticule ; il faut parfois se sacrifier ; trop dur à 9h du matin ; là, Frédéric regardera ce midi, les spores « en forme de Barbapapa (le dessin animé) » et confirmera
– Un autre, ressemblant au précédent mais à chair douce, à la fois jaune et rouge et surtout avec du rouge en haut du pied, Hygrocybe insipida
– Un vert, Gliophorus psittacinus (Hygrophore perroquet) ; celui-ci a changé de genre comme pour indiquer qu’il était très visqueux
– Ce gros jaune, avec des lames au reflets orangés, Hygrocybe quieta
– Des blancs au lames épaisses bien décurrentes, Cuphophyllus virgineus
– Hygrocybe constrictospora, au chapeau rouge à centre jaune ; ses spores ont une silhouette en forme de 8, tout en rondeurs ; mes mains dessinent la figure ; Du calme, Étienne ; mais je resterai quand même au café.
Il est à noter qu’on mesure dans certaines contrées (Grande Bretagne…), le nombre d’espèces d’hygrophores pour estimer le niveau patrimonial de ces milieux particuliers que sont les pelouses rases**. Ici, on est pour moi sur un « hot spot » en termes de biodiversité fongique.
Je ne les cite pas tous ; au total, une douzaine d’espèces d’Hygrophores ; c’est la fête.
Quelques entolomes, gris sombre, Entoloma kuehnerianum à l’odeur d’huitre.
De graciles galères jaunes ochracées.
Ainsi qu’une belle collection de Mycènes dont certaines sont identifiables en macro :
– la gracile Mycena acicula millémétriques qui rentre en concurrence pour le concours de la plus belle, de la plus sexy avec certaines Hygrocybes cités
– de minuscules Mycena hiemalis, blancs qui montent la face nord d’un arbre de la prairie
– Mycena flavoalba, blanc à jaune pâle, classique dans ces pelouses.
Des Têtes de moine de grande taille, en forme de vase, tellement grands qu’on les voit depuis un promontoire à une cinquantaine de mètres ; ils permettent de s’arrêter quelques instants ; et Fréd soufflera la bougie :
Il n’y a pas eu, une fois n’est pas coutume, de préalable géologique : les terrains ont été trop remaniés pour que cela ait un sens. Sous les pelouses, le reste d’anciennes constructions, ont rendu le terrain parfois calcaire, parfois non.
Au retour, certains ramassent « quelques » pieds violets (Lepista saeva) qu’on avait repérés au début dans la première pelouse ; pour l’étude.
Le petit groupe s’égaille
Non sans avoir échangé
Une dernière fois
Sur ces merveilleux trésors
Que recèle le parc de Marly
Malgré le temps humide
Nous en sortons changés
Plus heureux
Une de ces sorties
Qui restent dans la mémoire
Le coeur serré car
C’est la dernière de la saison
Une autre sortie Hygrophore
Peut-être
A bientôt
Pour de nouvelles aventures mycologiques.
Références citées :
* The Genus Hygrocybe, David Boertmann, Fungi of Northern Europe, 2010
** PROTOCOLE STANDARDISÉ D’ÉTUDE DES CHAMPIGNONS DES PELOUSES ET PRAIRIES MAIGRES, LES « CHEGD » (CLAVAIRES, HYGROCYBES, ENTOLOMES, GÉOGLOSSES, DERMOLOMES)
*** Les Hygrocybes de pelouses sèches pour le diagnostic terrain
Et merci aux auteurs des belles photos : Nathalie Volevatch, Camille Anceau, Émilie Dechaize, Frédéric Suffert, Chantal Bongiorno, Christelle Rouaud, Frédéric Della Guista, Patricia Pierson & Étienne Varney :