par Frédéric Della Giusta
Il est des sorties qu’on n’oubliera jamais : un site pittoresque, un paysage étourdissant, une récolte extraordinaire, un parfum envoutant, une ambiance chaleureuse et amicale, un repas tiré du sac partagé entre gens d’excellente compagnie, les motifs pour garder au fond de soi un souvenir impérissable d’une sortie de l’ANY sont bien nombreux.
Aussi incroyable que cela puisse paraitre, elles sont nombreuses les sorties ANY qui rassemblent deux ou trois de ces caractéristiques. La sortie au Bois de Morval est à placer dans la catégorie "sorties d’exception", en ce qu’elle rassemble absolument toutes ces caractères, et plus encore !
L’arrivée dans le bois est déjà marquante, puisqu’il faut à peine une dizaine de mètres pour tomber sur un joli bouquet de morilles. Voila qui met de bonne humeur et donne de l’entrain. Quelques fois, la promenade démarre fort pour finir sur un rendement global décevant. Ici, rien de tel, tout est à l’avenant. En effet, au bout du chemin, on découvre un paysage quasi surnaturel : la pelouse calcaire (ou calcicole) sèche, à l’herbe rase couverte d’un bien curieux champignon, j’ai nommé le Tulostome brumale
Cette pelouse rase à l’herbe rare et maigre fait immédiatement penser aux plateaux jurassiens (pour qui à le bonheur de connaitre ceux-ci), et les orchidées naissantes dont les fleurs devraient être visibles d’ici une quinzaine de jours au mieux, confortent dans l’idée d’une gémellité. Sans aucun doute c’est le calcaire sous-jacent le responsable. Et bien : vive le calcaire et ses multiples conséquences sur la flore et la fonge !
On s’enfonce ensuite dans le sous-bois pour croiser le chemin d’un bien étrange champignon se développant sur les chenilles mortes. Il s’agit de Ophiocordyceps gracilis, syn. Cordyceps gracilis . C’est l’occasion d’une anecdote comme toujours savoureuse, d’Yves, notre maitre de cérémonie : il aurait vu il y a longtemps déjà un papillon s’envoler avec sur le dos ce cordyceps bien développé... Mythe ou réalité ? Qu’importe après tout, d’autant qu’on sait bien que la réalité dépasse parfois la fiction.
On poursuit ensuite vers l’allée couverte du Bois Couturier, formidable vestige d’un tombeau millénaire ! On prend à nouveau conscience que bien souvent, l’homme a choisi des lieux extraordinaires pour passer l’éternité. Le panneau explicatif installé là pour édifier les promeneurs nous renseigne sur l’âge de ce site, daté du troisième millénaire avant JC. Que voilà un bon bout d’éternité !
Vient ensuite la pause méridienne bien méritée. Le repas, tiré du sac, est l’occasion d’échanges d’anecdotes et de victuailles entre les convives. Un petit verre au passage, un café, un bain de soleil, et on repart dare-dare direction l’étang. Mais avant ça, on jette un Å“il distrait sur un bouquet d’anémones et de ficaires au bord du chemin. Et là , stupeur et tremblements ! Un plein parterre de Dumontinia tuberosa , champignon qui pousse sur les racines d’anémone sylvie (Anemone nemorosa) et formant en terre un sclérote (boule de mycélium) noir. On hésite entre cette espèce et Sclerotinia ficariae qui pousse sur ficaire (Ficaria verna), car on avait ici la présence des deux espèces de plante. Seule la microscopie fera la différence, enfin, c’est à souhaiter...
On poursuit la balade vers l’étang, puis on remonte vers le bois et les prairies, croisant de nombreuses rouilles et charbons sur diverses plantes. C’est un monde à part, un monde en soit, fabuleux de diversité et de trésors souvent ignorés. La loupe et le microscope sont indispensables pour en capter toute la beauté. Nous avons la chance d’avoir avec nous un spécialiste doublé d’un photographe de talent : Frédéric Suffert. Il nous donne quelques clefs pour appréhender ce monde qui mérite vraiment qu’on s’y penche. Ici, c’est la science qui parle, et uniquement la science, car le gastronome restera à l’écart...
Une morille, une rouille, une morille, une rouille, voici comment était rythmée cette sortie, pour le plus grand bonheur des convives. Car on n’a pas encore parlé d’eux, ces fiers mycologues plains d’allant et de courage : vingt personnes rassemblées pour cette sortie commune ANY / SMF, allant du mycologue très chevronné à l’apprenti cueilleur. Un moment unique de transmission désintéressée des savoirs...
Il y aurait encore tant de choses à dire, car il en manque encore pour dire l’essentiel. Le mieux est encore de venir aux prochaines sorties se faire sa propre opinion et le plein de bonne humeur et comme disent les plus jeunes, de "good vibes".