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Forêt de Bois-d’Arcy, 15 avril 2023

Sortie mycologie et botanique

Compte rendu de la sortie ANY en Forêt de Bois-d’Arcy aux Clayes-sous-Bois

par Frédéric Suffert

Cette sortie en grande partie consacrée à la découverte des rouilles ou urédinales – micromycètes responsables d’une catégorie de maladies cryptogamiques Ô combien emblématique – intervient relativement tôt dans l’année. Elle offre l’opportunité d’observer les espèces parmi les plus précoces. Leur expression est particulièrement photogénique, quoique généralement encore discrète.

Nous nous retrouvons sur le parking du Parc Jean Carillon aux Clayes-sous-Bois, en compagnie de nos guides – Frédéric Suffert et Marie-Louise Dussarat – qui ont accepté de prendre pour cette matinée les casquettes d’« urédinologiste » et « botaniste », respectivement. La double compétence est indispensable au chasseur de rouille : chaque espèce parasite étant spécifique d’un petit nombre, voire d’une unique espèce de plante hôte, l’identification de la première nécessite en effet de bien identifier la seconde.

Le site choisi a fait l’objet d’un inventaire mené « en famille » par Frédéric pendant les périodes de confinement du Covid-19, valorisé à la fois auprès du grand public (compte Twitter @wheatpath) et de façon plus académique (Suffert & Suffert, 2022).

Trajet de découverte des rouilles autour du Parc jean Carillon, aux Clayes-sous-Bois
Les numéros font référence à ceux des espèces citées dans le texte et aux photos correspondantes (fin de compte rendu)

Le temps est avec nous ! Avec une première heure particulièrement pluvieuse, le ciel nous fait une belle promesse : celle de repartir au moins aussi « rouillés » que les plantes que nous observerons ! Bien abrités sous le terrain de pétanque du Parc Carillon, nous faisons d’abord connaissance avec les rouilles au travers d’une présentation de leur « cycle » théorique par Frédéric, schéma à l’appui. Le cycle se caractérise donc par cinq « stades » et la production de cinq types de spores correspondant : stade pycnidien 0 (pycniospores / hyphes flexueux), stade écidien I (écidiospores, qui résultent de la « reproduction sexuée »), stade urédien II (urédiniospores, à l’origine de multiples infections sur les feuilles, responsables d’ « emballements épidémiques » qui peuvent être à l’origine d’une destruction complète du feuillage), stade télien III ( téleutospores) et stade basidien IV (basidiospores).

Nous apprenons d’abord que les rouilles sont spécifiques de la plante hôte qu’elles parasitent, d’où la nécessaire identification des végétaux rencontrés pour savoir à quelle espèce nous avons à faire, mais aussi que certaines espèces de rouille ont deux plantes hôtes : une « principale », et une « alternante ». Nous retenons ensuite que les rouilles sont causées par des champignons basidiomycètes parasites dits « biotrophes obligatoires », c’est-à-dire n’infectant et ne survivant que sur les tissus vivants (donc tissus « verts » en ce qui concerne les parties aériennes). La précocité de cette sortie donne à Frédéric l’occasion de partager ses interrogations sur le mode de survie hivernale des espèces que nous allons croiser : probablement dans les parties souterraines (rhizomes, bulbilles, etc.), avec une manifestisation « systémique », c’est-à-dire une colonisation généralisée de la plante par le champignon se traduisant par l’apparition des pustules sur les feuilles mais aussi la tige.

Le cycle théorique d’une rouille est complexe et la terminologie ardue, mais nous comprenons qu’il s’agit de deux éléments importants dont les amateurs de rouilles ne peuvent faire l’économie. Lors de chaque observation Frédéric s’appuiera sur ce schéma pour expliciter le stade en présence, les particularités de l’espèce et son hôte alternant putatif (s’il existe, car le cycle de nombreuses espèces est incomplet).

Cycle de la rouille noire du blé
(Puccinia graminis f. sp. tritici), caractéristique des espèces dites « hétéroïques » (alternance sur deux espèces de plante hôte) et « macrocycliques » (présence de l’ensemble des stades 0, I, II, III et IV). Illustration de Jackie Morrison, USDA-ARS

Un premier arrêt sous un peuplier colonisé par du gui (Viscum album) nous permet d’en observer quelques feuilles desséchées au sol. Elles sont parasitées par un champignon ascomycète, Phaeobotryosphaeria visci (1) , dont les fructifications asexuées sont visibles à l’œil nu. Ces fructifications contiennent les conidies, que nous observerons l’après-midi au microscope en même temps que les rouilles collectées, dans le local de l’ANY au Chesnay-Rocquencourt.

La première rouille nous apparait sur un carex (ou laîche), Carex pendula, causée par Puccinia ribesii-pendulae (2) . L’identification n’est toutefois pas totalement certaine étant donné que plusieurs espèces sont capables d’infecter ce carex et ont des hôtes alternants différents. Les groseillers sauvages (Ribes sp.), présents à proximité, sont les hôtes alternants de P. ribesii-pendulae, mais Frédéric n’a jamais observé de rouille dessus. Au microscope, nous observerons les urédiniospores (II).

Une première rouille de la ficaire, Ficaria verna, causée selon toute vraisemblance par Uromyces dactylidis (3) , nous est présentée. Les pustules, d’un jaune orangé vif, se caractérisent par des clusters d’écidies (I) sous les feuilles mais aussi sur les tiges, formant des « coupes » contenant des écidiospores.

03b Uromyces dactylidis
sur Ficaria verna

A proximité immédiate, sous un grand hêtre (et nos parapluies), un parterre de moscatellines (Adoxa moschatellina) nous attend. Plusieurs sont infectées par Puccinia albescens (4) , la première espèce de rouille que nous voyons aujourd’hui sur cette discrète mais distinguée plante de sous-bois. La rouille se présente ici sous son stade écidien (I), formant des petites coupes blanches le long de la tige et la base des feuilles.

04a Puccinia albescens
Parterre d’Adoxa moschatellina, sous un grand hêtre
04c Puccinia albescens
sur Adoxa moschatellina

Sur une tige de ronce (Rubus sp.) nous remarquons ensuite une lésion orange vif, finement pulvérulante, libérant des urédiniospores (I) : il s’agit de Kuehneola uredinis (5) , une espèce de rouille très présente dans la forêt de Bois-d’Arcy. Elle est « systémique » (comme la plupart des rouilles se manifestant précocement que nous observons ce matin), c’est-à-dire capable d’hiverner à l’intérieur des tissus rhizomateux de la plante et de « ressortir » par les tiges au printemps. Frédéric nous précise que cette colonisation systémique fait partie intégrante du cycle de nombreuses urédinales mais est finalement peu documentée dans la littérature scientifique.

Sur une autre place à ficaire (Ficaria verna) nous trouvons une seconde rouille, Uromyces ficariae (6) , au stade urédinien (II), dont la teinte brun foncé des pustules apparaissant sous les feuilles est à l’origine du surnom « rouille chocolat ».

A proximité immédiate, un regard attentif permet d’identifier une pustule – unique et très précoce – sur la face supérieure d’une jeune feuille d’ortie (Urtica dioica) : il s’agit du stade pycnidien (0), précédent le stade écidien (I), pour lequel l’identification de l’espèce est impossible sans identification moléculaire (ADN) étant donné que plusieurs rouilles ont pour plante hôte l’ortie. Nous nous arrêtons donc au genre Puccinia urticata s.l. (7) . L’observation microscopique réalisée plus tard dans l’après-midi confère néanmoins tout son intérêt à cet échantillon : les hyphes flexueux et les spermogonies, impliqués dans la fécondation, sont bien visibles. La fécondation conduira à la formation des écidies (I) à la face inférieure de la feuille, juste sous une pycnie (0).

07c Puccinia urticata s.l.
Hyphes flexueux et spermogonies de Puccinia urticata s.l. sur Urtica dioica

Dans un pré en lisière de bois nous devinons des plants de consoude (Symphytum officinale). Quelques-uns présentent des feuilles dont la face inférieure est recouverte d’un discret duvet orangé : il s’agit des urédies (II) de la rouille à Melampsorella symphyti (8) . Le fait que la totalité de la surface des feuilles en soit recouverte illustre une fois de plus le caractère systémique de cette rouille. Elle se conserve dans les rhizomes et s’exprime au printemps lorsque la plante reprend son développement végétatif.

Dans le même pré, Ô suprise, nous découvrons plusieurs renoncules (Ranunculus acris) rouillées, que Frédéric n’avait encore jamais observées sur ce site (non décrites dans Suffert & Suffert, 2022). Les clusters d’écidies (I), d’un jaune orangé vif, sont particulièrement photogéniques ! La détermination de l’espèce, et même du genre, est là encore impossible sans identification moléculaire : il faudrait pour cela être en mesure d’identifier l’autre hôte. Il pourrait s’agir d’un Uromyces sp. (dont plusieurs Poacées sont hôtes), mais aussi de Puccinia perplexans : cette espèce de rouille alterne en effet sur vulpin des pré (Alopecurus pratensis) qui est justement présent dans ce pré. Ne pouvant conclure, il est d’usage de rapprocher le spécimen du genre Aecidium en référence au stade écidien (I) sous lequel il s’exprime. Le nom donné à cette rouille sera donc Aecidium ranunculi-acris (9) , tel qu’utilisé classiquement dans les flores spécialisées (Klenke & Scholler, 2015). Les rouilles donnent décidément du fil à retordre aux naturalistes ayant une âme de détective…

09b Aecidium ranunculi-acris
sur Ranunculus acris

En nous engageant vert la seconde partie du parcours, nous tombons nez à nez avec Britzelmayria multipedata (10) . De quoi satisfaire, enfin, les adeptes de champignons « vrais » !

Puis, sur ficaire (Ficaria verna) nous identifions un troisième micromycète, Entyloma ficariae (11) – pas une rouille, mais un « charbon » – qui provoque des tâches banches encore discrètes en ce début de printemps.

A quelques mètres du chemin, notre regard est attiré par un champignon jaune vif sur un tronc. Serait-ce une rouille ? Non, il s’agit d’un joli spécimen de Tremella mesenterica (12) , qui parasite plusieurs espèces fongiques. L’hôte fongique est ici invisible.

Toujours en bordure de chemin, nous levons la tête pour découvrir cette rouille qui infecte le fusain d’Europe (Euonymus europaeus). Il s’agit de Melampsora euonymi-caprearum (13) au stade écidien (I), qui a la particularité de former des écidies « nues » (également appelées caeoma, caractéristique du genre Melampsora) à la surface inférieure des feuilles, qui sont l’équivalent des petites « coupes » caractéristiques de ce stade (comme vu précédemment chez Uromyces datylidis et Puccinia albescens). A la face supérieure de certaines feuilles de fusain nous observons les pycnia (0), le stade qui précède, juste avant que la fécondation ait lieu : au revers, il n’y pas encore d’écidies ; elles devraient apparaître les jours suivants.

Nous trouvons une autre rouille, probablement la plus discrète de la journée, sur fougère mâle (Dryopteris filix-mas) : il s’agit d’une rouille blanche, à Milesina kriegeriana (14) , dont les urédiniospores (II) ici présentes sont incolores. Au microscope, nous pouvons admirer leur échinulations.

14b Milesina kriegeriana
Urédiniospores de Milesina kriegeriana collectées sur Dryopteris filix-mas

Nous parcourons un parterre de jacinthes des bois (Hyacinthoides non-scripta) fleurissantes. Sur les feuilles allongées de pratiquement chaque plant, nous observons des alignements de lésions brunes, ovales et sporulantes. Il s’agit du stade urédien (II) de la rouille à Uromyces hyacinthi (15) .

15b Uromyceshyacinthi
sur Hyacinthoides non-scripta

Pendant la suite de notre parcours nous n’oublions pas d’observer attentivement la base des tiges sèches (de l’année précédente) de différentes plantes, par exemple d’ortie ou de sceau de Salomon : de quoi trouver relativement aisément les fructifications de divers ascomycètes parasites. A la base des tiges de l’alliaire officinale (Alliaria petiolata), reconnaissables aux résidus de siliques à leur extrémité, nous identifions ainsi des périthèces (fructifications sexuées) de Leptosphaeria maculans (16) . L’observation microscopique des asques et des ascospores vient confirmer cette identification.

Sur une autre place à moscatelline (Adoxa moschatellina) nous trouvons une seconde rouille, à Puccinia adoxae (17) , au stade télien (III), le seul stade connu chez cette espèce, qualifiée pour cette raison de « micro-cyclique ». Les télies, très sombres, sont densément réparties le long de la tige et sur la face supérieure des feuilles, qu’elles déforment. Les téleutospores comportent, comme toutes celles du genre Puccinia, deux cellules.

17c Puccinia adoxae
Téleutospore de Puccinia adoxae collectées sur Adoxa moschatellina

La dernière rouille de la matinée, à Puccinia sessilis (18) , est identifiée sur de jeunes feuilles d’arum (Arum maculatum). Comme pour la rouille trouvée sur l’ortie, il s’agit là d’un stade pycnidien (0) très précoce : la fécondation n’a pas encore eu lieu.

Le groupe se sépare vers midi tandis que le ciel de dégage. Nous nous donnons rendez-vous dans quelques mois, pour découvrir de nouvelles rouilles, sur d’autres plantes hôtes, à de nouveaux stades – principalement urédien (II) et télien (III) – dans un nouveau site !

Références

 Elis WN. Plant Parasites of Europe
https://bladmineerders.nl/ (accès libre)

 Klenke F, Scholler M. 2015. Pflanzenparasitische Kleinpilze : Bestimmungsbuch für Brand-, Rost-, Mehltau-, Flagellatenpilze und Wucherlingsverwandte in Deutschland, Österreich, der Schweiz und Südtirol. Berlin : Springer-Verlag.

 Suffert F, Suffert M. 2022. ‘Phytopathological strolls’ in the dual context of COVID-19 lockdown and IYPH2020 : transforming constraints into an opportunity for public education about plant pathogens. Plant Pathology 71 : 30-42 https://bsppjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ppa.13430 (accès libre)

info portfolio

01a Phaeobotryosphaeria visci 01b Phaeobotryosphaeria visci 01c Phaeobotryosphaeria visci 02a Puccinia ribesii-pendula 02b Puccinia ribesii-pendula 03a Uromyces dactylidis 03c Uromyces dactylidis 03d Uromyces dactylidis 04b Puccinia albescens 04d Puccinia albescens 04e Puccinia albescens 05a Kuehneola uredinis 05b kuehneola uredinis 06a Uromyces ficariae 06b Uromyces ficariae 06c Uromyces ficariae 06d Uromyces ficariae 07a Puccinia urticata s.l. 07b Puccinia urticata s.l. 08a Melampsorella symphyti 08b Melampsorella symphyti 08c Melampsorella symphyti 09a Aecidium ranunculi-acris 09c Aecidium ranunculi-acris 10a Britzelmayria multipedata 10b Britzelmayria multipedata 10c Britzelmayria multipedata 11a Entyloma ficariae 12a Tremella mesenterica 13c Melampsora evonymi-caprearum 13d Melampsora evonymi-caprearum 13b Melampsora evonymi-caprearum 13a Melampsora evonymi-caprearum 14a Milesina kriegeriana 15a Uromyces hyacinthi 15c Uromyces hyacinthi 16a Leptosphaeria maculans 16b Leptosphaeria maculans 16c Leptosphaeria maculans 17a Puccinia adoxae 17b Puccinia adoxae 18a Puccinia sessilis 18b Puccinia sessilis