par Frédéric Della Giusta
Le compte rendu de l’exposition au Chesnay commençait en chanson. Une chanson qui imprègne les pensées pour toute la journée, un air entêtant dont on ne peut se défaire malgré tous les efforts.
Pour la sortie en Forêt de Sainte Apolline, on cherche à faire de même, on cherche l’air idéal, l’accord parfait avec l’ambiance du lieu. On réfléchit, on cogite, on s’approche puis s’éloigne, on revient et s’écarte encore… et rien. Finalement on ne trouve rien. En tous cas, rien de convenable pour la circonstance. Aucune chanson dépeignant la Foret de Sainte Apolline un dimanche matin brumeux, humide et froid, de Novembre (alors qu’on est encore en Octobre, mais s’il avait fallu parier, j’aurais dit Novembre et j’aurais quand même gagné).
Bref, deux salles deux ambiances... mais bien sûr, c’est ça ! Un poème empreint de tristesse et de nostalgie, plutôt qu’une chanson joyeuse !
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
Paul Verlaine, Poèmes saturniens
On notera au passage qu’on y trouve un quelque chose, un je-ne-sais-quoi d’une chanson de Serge Gainsbourg... Pour ceux qui cherchait un air à fredonner, vous voilà servis.
Voici une bien longue entrée en matière pour indiquer qu’il faisait bien frais et humide en ce dimanche typique d’une triste journée d’automne. Et pourtant, comme à chaque sortie de l’ANY, on est heureux de se retrouver ici avec tant de camarades mycologues - mycologues d’un jour ou expérimentés - rassemblés au nombre de 28 ! Il y avait tant de voitures, d’ailleurs, qu’il a été nécessaire pour certains de se garer quasiment au centre ville de Plaisir, à 30 minutes à pied du lieu de rendez-vous (j’exagère peut-être un peu - mais on n’est pas à 25 minutes près - je forcis un peu le trait pour marquer l’idée).
Bref, une fois les règles de la sortie rappelées par Yves, maitre de cérémonie du jour, on se dirige dans le bois par le chemin empierré qu’on quitte aussitôt.
Clitocybes nébuleux
On bifurque en effet vers la droite, et on tombe alors sur de nombreux Clitocybes nébuleux - Clitocybe nébularis, à différents stades d’évolutions : de petits, bien frais et typiques, à d’énormes déjà flasques et quasi méconnaissables. Ils poussent en troupe, en ronds de sorcière plus ou moins complets. Cette espèce annonce déjà la fin de la saison mycologique, saison qui n’a jamais vraiment commencé en raison des fortes pluies de l’automne. Ce champignon est comestible, mais attention, tout le monde ne le supporte pas ! On estime que 10% de la population n’a pas l’enzyme pour le digérer : on fera donc attention de le tester en faible quantité avant de se lancer dans un repas gargantuesque (toujours déconseillé, quel que soit le champignon, soit dit en passant).
Panellus stipticus
On poursuit le long périple sur un replat couvert de chênes avec quelques hêtres mêlés. Là, sur une branche morte, une colonie de jolis champignons en forme d’éventail attire notre attention de cueilleurs du dimanche. Il s’agit de Panellus stipticus, la Panelle styptique. Quelle beauté ! Mais beauté amère... Pouah ! Styptique signifie en effet : Qui possède des propriétés astringentes et hémostatiques. Qui a pour effet de resserrer les muqueuses buccales et les papilles de la langue. Ceux du jour sont plutôt conciliants avec lesdites papilles, probablement car gorgés d’eau. Au passage, je me demande toujours d’où me vient ce goût pour goûter (non, ce n’est pas un pléonasme) tous les champignons... Mystère.
Calvatia excipuliformis
Et on repart, plein sud, ou plein nord... ou plein ouest... On n’en sait plus rien à dire vrai. On avance le nez et ventre à terre, à la recherche de l’espèce qui sera élevée au rang de "l’espèce du jour", et on en oublie le groupe. Fort heureusement, à intervalles réguliers, on perçoit au loin le gémissement strident d’une corne de brume qui indique l’emplacement du lieu de rassemblement. Ce son rassurant émane de la corne d’Yves, qui, soucieux de ramener tout le monde à bon port, sonne la fin de la récréation (normal pour un maitre d’école) et nous enjoint à écouter la leçon : voici Clavatia Excipuliformis, la Calvatie en coupe (Calvatie avec un ’a’, et non Calvitie, bien que la tête du champignon soit complétement dépourvue du moindre cheveux).
Daedalea quercina
Au détour d’un chemin, on tombe nez à nez avec une troupe de polypores qui courent le long d’une branche tombée à terre. On les rattrape bien vite et on les met sur le ventre, car c’est comme ceci qu’ils sont les mieux mis en valeur. Un labyrinthe, un dédale d’excroissances rassemblant à des lames, s’offre alors à la vue du mycologue incrédule : fichtre, diantre, ventre-saint-gris, quelle grâce, quelle poésie, que c’est beau ! Je ne te le fait pas dire... Daedalea quercinea, la dédalée du chêne.
Anticipant la traditionnelle question "est-ce que ça se mange ?", je le dis tout net : non ! Le champignon est séduisant, attirant, sculptural même, mais ce n’est pas un critère de comestibilité : il est en effet dur comme de l’âne. On passe son chemin.
Helvella lacunosa
Au bord de celui-ci, dans le fossé drainant, au milieu des feuilles mortes qui s’entassent, on voit dépasser des têtes cérébriformes gris-noires, sur un pied plus clair et lacuneux. Et bien voila, tout est dit en trois mots et le mycologue amateur aura compris de quelle espèce il s’agit : Helvella lacunosa, l’Helvelle lacuneuse. Cousine éloignée de la morille, elle a pu être considérée par le passé comme comestible. Des recherches ont cependant établi qu’elle contient de la gyromitrine, qui peut provoquer des intoxications alimentaires graves et qui comporte un risque cancérogène. Cette substance n’étant pas détruite à la cuisson, on évitera absolument de tenter une quelconque expérience culinaire, même avec sa proche parente - non, je ne parle pas de sa belle mère - l’Helvelle crépue (Helvella crispa) qu’on trouvera également à quelques mètres de là.
Etang de Plaisir
Après deux heures trente d’une marche tranquille, on arrive enfin au bord de l’Etang de Plaisir. Malheureusement, les bancs et la table de pique-nique sont trempés, n’offrant que la promesse d’un repos mouille-culotte. On reste donc debout à contempler le ciel gris qui se reflète dans les eaux non moins grises du plan d’eau... Un dernier coup de corne, fort à propos en ce rivage dangereusement pierreux, et on s’en retourne vers les voitures, car voilà, c’est fini (Nos deux mains se desserrent de s’être trop serrées, la foule nous emporte chacun de nôtre côté - Jean-Louis Aubert)
Finalement, comme en France tout finit par une chanson, je ne résiste pas à vous laisser encore celle-ci à l’esprit pour toute la journée, car elle résume bien l’état d’esprit de ces sorties de l’ANY :
Les gens du Nord
Ont dans leurs yeux le bleu
Qui manque à leur décor
Les gens du Nord
Ont dans le cœur le soleil
Qu’ils n’ont pas dehors
Enrico Macias
La liste des 108 espèces récoltées est donnée ci-dessous.